lundi 21 décembre 2009

See you later aligator


Mois de décembre muet et il faut faire ses aux revoir à l'Equateur. Un dernier coup d'oeil aux volcans et le parc de Guano, une chanson en quetchua et un verre de chicha, puis on se dirigera vers Quito, direction Paris avec étape à Caracas et Madrid. Choc brutal de la saison permanente équatorienne pour affronter le rude hiver européen. SuperS n'a pas résolu le dérèglement climatique à Copenhague? Vive le chauffage au nucléaire!
Retour en France pour un avenir en forme de point d'interrogation. De nouvelles aventures très bientôt dès que j'aurais mis mon cache colle.

jeudi 19 novembre 2009

La vie avec le VIH en Equateur [2]


Second témoignage d'une femme équatorienne porteuse du VIH et vivant à Riobamba qui a demandé qu'on l'appelle Victoria.

" Mon premier compagnon m'a transmi le virus VIH, et c'est de cette maladie qu'il est décédé. Lorsque je me suis rendu au Centre de Santé pour faire le test, ils m'ont annoncé que j'étais positive. Cela fut très dur à accepter, et j'étais préocuppé pour ma fille. Ce fut terrible, je ne savais pas où aller, si je devais quitter la maison, je ne savais pas quoi faire ni comment le dire à mon nouveau mari.
Je me suis confié à ma belle soeur en premier lieu. C'est elle qui m'a accompagné dans tout le processus médical pour confirmer le premier test. C'est aussi elle qui m'a aidé pour annoncer la nouvelle à mon époux. Lorsqu'il a appris la nouvelle, il a été déçu car je ne lui avait pas dit que j'allais faire le test mais il s'avère qu'il fut une personne merveilleuse. Je pensais qu'il allait me battre ou bien m'expulser de la maison mais bien au contraire, il est resté à mes cotés et du premier jour jusqu'à aujourd'hui, il m'aide et me soutient. Il se fache quand je ne suis pas exactement le traitement, il fait très attention à moi. Dans cette épreuve je reçois aussi le soutien inconditionnel de ma belle soeur ainsi que de toute ma belle famille. Ce n'est pas le cas de mes parents ni du reste de ma famille de la part de qui je n'ai aucun soutien.
La vie ne se termine pas avec le VIH, elle se poursuit bien au contraire. La vie est merveilleuse et tellement belle. Malgré cette épreuve douloureuse, je continue à me battre tous les jours. Pour ma fille et pour toute les personnes qui m'aident au quotidien."

mardi 17 novembre 2009

"Cette extradition équivaut pour moi à une peine de mort"


Je citais quelques extraits de la lettre que Cesare Battisti a envoyé le 13 novembre au président Lula. Voici la traduction complète de la missive, réalisée par mes soins pour aider le groupe Brasil e Desenvolvimento ainsi que tous ceux qui se mobilisent contre son extradition.

“Trente ans changent beaucoup de choses dans la vie d'un homme, et parfois font une vie entière” (L'homme révolté – Albert Camus)



Si nous regardons un peu notre passé d'un point de vue historique, combien d'entre nous peuvent sincèrement dire qu'ils n'ont jamais désiré proclamer la propre humanité, la déployer dans tous ses aspects en une grande liberté. Peu, très peu, sont les hommes et les femmes de ma génération qui n'ont pas rêver d'un monde différent, plus juste.

Cependant, fréquemment, par pure curiosité ou par les circonstances, seulement certains décidèrent de se lancer dans la lutte en sacrifiant sa propre vie.

Mon histoire personnel est suffisamment connue pour ne revenir de nouveau sur les raisons qui m'ont conduit à la lutte armée. Je sais seulement que nous étions des milliers, et que certains moururent, d'autres sont prisonniers, et beaucoup sont exilés.

Nous savions que cela pouvait se terminer ainsi. Combien furent ils les exemples de révolution qui ont échoué et que l'histoire nous avait déjà raconté? Même ainsi, nous avons recommencé, nous nous sommes trompé et même avons perdu. Pas tout! Les rêves continuent.

Nombreuses conquêtes sociales, dont profitent aujourd'hui les italiens, furent conquises grâce au sang versé par ces compagnons de l'utopie. Je suis le fruit de ces années 70, comme beaucoup d'autres ici au Brésil, notamment beaucoup de compagnons qui aujourd'hui sont responsables du destin du peuple brésilien. En vérité, je n'ai rien perdu car je n'ai pas lutté pour quelque chose que je pouvais emporter avec moi. Mais maintenant, détenu, ici au Brésil, je ne peux accepter l'humiliation d'être traité comme un criminel de droit commun.

Pour cela, face à la surprenante obstination de certains juges du Suprême Tribunal Fédéral qui ne veulent pas voir ce qu'était vraiment l'Italie des années 70; qui nient l'intention de mes actes; qui fermèrent les yeux face à l'absence totale de preuves techniques à mon encontre en référence aux 4 homicides qui me sont attribués; qui ne reconnaissent pas les failles de mon procès, la prescription, et qui savent les autres empêchements à mon extradition.

Plus que tout, il est surprenant et absurde, que l'Italie m'ait condamné pour activisme politique et au Brésil, certains n'ont pas peur de m'extrader sous prétexte d'une implication pour un crime commun. C'est absurde, principalement pour avoir reçu du gouvernement Brésilien la condition de réfugié politique, décision pour laquelle je serai à jamais reconnaissant.

Face aux énormes difficultés de gagner cette bataille contre le puissant gouvernement italien, qui utilisa tous les arguments, les outils et les armes, il ne me reste pas d'autres solutions aujourd'hui que de débuter une “GRÈVE DE LA FAIM TOTALE” pour que me soient accordés les droits attribués au statut de réfugié et prisonnier politique. J'espère par cet acte de désespoir, empêcher cette extradition qui équivaut pour moi à une peine de mort.

J'ai toujours lutté pour la vie et s'il faut mourir j'y suis prêt mais jamais dans les mains de mes tortionnaires. Ici, dans ce pays, au Brésil, je continuerai ma lutte jusqu'à la fin, et bien que fatigué, jamais je ne vais abandonner de lutter pour la vérité. La vérité que certains refusent de voir. Il est le pire des aveugles, celui qui refuse de voir.

Je termine cette lettre, en remerciant les compagnons qui depuis le début de ma lutte ne m'ont jamais abandonné, et de la même forme, je remercie ceux qui sont arrivés dernièrement, mais qui ont autant d'importance que ceux qui sont à mes cotés depuis le tout début. A vous, mes sincères remerciements. Comme ultime suggestion, je vous recommande de continuer à lutter pour vos idéaux, pour vos convictions. Cela vaut la peine!

J'espère que l'héritage de ceux qui sont tombés sur le champ de bataille ne soit pas vain. Nous pouvons perdre une bataille mais je reste convaincu que la victoire de cette guerre est réservé à ceux qui luttent pour la généreuse cause de la justice et de la liberté.

Je rend ma vie entre les mains de votre Excellence et celles du peuple brésilien.

Brasília, 13 novembre 2009

Cesare Battisti




La vie avec le VIH en Equateur [1]


La Otra Esquina travaille actuellement en collaboration avec la direction régionale de la santé du Chimborazo pour un film de prévention sur le VIH / SIDA à destination des collégiens du canton de Guano. Un témoignage d'une femme équatorienne porteuse du VIH. Elle vit à Riobamba, a choisi le pseudonyme de Pilar et revient sur les discriminations dont elle a été victime suite à son état de santé.

"Je m'appelle Pilar, je suis professeur et je suis porteuse du VIH depuis 2002. On m'a diagnostiqué le virus lors d'un test au septième mois de ma grossesse. Le médecin m'a conseillé d'avorter pour ne pas contaminer mon enfant, mais j'avais déjà fais une fausse couche dans le passé et je ne voulais surtout pas perdre mon fils une seconde fois. J'ai décidé de ne pas revenir à l'hôpital pour ne pas subir d'autres pressions de la part des médecins.
Aux premières contractions, je me suis rendu à la maternité de Riobamba où personne n'a accepté de me prendre en charge en raison de mon état de santé. Les médecins souhaitaient tous me transférer à Guayaquil ou à Quito car aucun n'étaient préparés pour un accouchement de ce type. Les douleurs étaient trop fortes pour envisager un quelconque voyage, et finalement j'ai rencontrer un personnel compétent car spécialisé qui m'ont pris en charge.
Lorsque je suis sorti de la salle d'acouchement, je fus emmené dans la salle de récupération. Je fus isolée des autres pacientes et j'ai pu remarqué qu'on lavait mon fils dans le lavabo. Les repas étaient servis dans des ustensibles jetables en plastique et on me servit la soupe dans une bouteille de Cola coupée en deux.
Suite à ces mauvais traitements, je n'ai pas voulu revenir à l'hôpital pour suivre un traitement. Ce n'est que deux ans plus tard, suite à la visite d'une assistante sociale que j'ai commencé la médication. Mon état de santé s'empirrait mais aujourd'hui, cinq ans plus tard, je me porte très bien.
Il y a peu de temps, j'ai du soigner un problème dentaire et de nouveau, j'ai du affronter la discrimination de certains médecins qui refusaient de me soigner. Il a fallu faire des pieds et des mains avec les responsables de la clinique du SIDA pour qu'enfin on puisse me soigner et se rendre compte que les odontologues ne respectaient pas le processus sanitaire basique."

lundi 16 novembre 2009

Cesare Batttisti ne retournera pas en Italie


Le Suprême Tribunal Fédéral (STF) Brésilien tergiverse et n'arrive pas à prendre une décision. Le président Toffoli récemment investi du poste refuse de prendre une décision et laisse ses collègues dans un match nul 4/4. Les juges souhaitent déléguer la décision au chef de l'Etat brésilien, Lula, et pendant ce temps Battisti attend...

La décision devait tomber le 14 novembre. Un an après avoir reçu du ministre de la justice brésilien le statut de réfugié politique, le STF devait décider de l'extradition, ou non, de Cesare Battisti. Le vote ne donna rien puisque 4 juges votèrent pour le retour entre les griffes de Berlusconi et son gouvernement fasciste et 4 optèrent pour qu'il puisse rester au Brésil. Le président du STF, Gilmar Mendés, qui possède un vote de minerve ne votera que jeudi. Le ministre, tout juste investi, Toffoli lui ne se prononcera pas. Lula reste le dernier rempart car il peut toujours empécher l'extradition.
La défausse des juges veut faire du cas Battisti un cas diplomatique quand on leur demandait de statuer en fonction de critères juridiques. C'est aujourd'hui à Lula de prendre une décision et cela représente une entrave à la séparation des pouvoirs. L'exécutif ne peut prendre une décision qui relève du pouvoir judiciaire. Le président de la république brésilien est soumis à une pression italienne des plus crapuleuse. Berlusconi promet des millions en investissement contre la tête de Battisti. En cas de désaccord, l'Italie promet un enfer diplomatique sur la scène international avec des sanctions touchant directement au porte-monnaie. Le même chantage dégueulasse exercé sur la France en 2003 et auquel avaient cédé Chirac et Sarkozy.
Et Batisti attend dans la prison de Papuda, à Brasilia. Gabriel Elias, grand ami et membre du groupe Brasil e Desenvolvimento, l'a rencontré la semaine dernière. Battisti n'avait pas encore commencé sa grève de la faim mais son état était déjà critique. Gabriel a rencontré un homme "propre et bien habillé" mais "déprimé" "qui ne réussissait pas à manger ni à dormir, il avait déjà perdu 5 kilos". Les étudiants de l'UnB, le comité du Céara Critica Radical, et son comité de soutien travaillent activement dans les alcôves du pouvoir, dans la rue et à ses cotés en lui rendant visite. Ils tentent de redonner espoir à un homme profondément "abattu" et "anxieux".
Le 14 novembre, Battisti commençait une grêve de la faim totale, ce qu'il refusait jusque là et qu'il décrit comme "un dernier acte de désespoir" et écrivait une lettre à Lula et au peuple brésilien. L'extradition représente "une peine de mort".
"J'ai toujours lutter pour la vie mais s'il faut mourrir, je suis prêt mais ça ne sera pas par les mains de mes tortionaires". Le message est clair, il ne retournera en Italie que dans un cercueil et en finira avant de poser le pied sur sa terre natale. Comme si cette lettre était un testament, il remercie les gens qui l'aident et se mobilisent en son nom, ceux du début ainsi que les derniers arrivés: "qui ont la même importance que ceux qui sont à mes cotés depuis le début". "J'espère que l'héritage de ceux qui sont tombés sur le champ de bataille ne soit pas vain. Nous pouvons perdre une bataille mais je reste convaincu que la victoire de cette guerre est réservé à ceux qui luttent pour la généreuse cause de la justice et de la liberté."

source: passa palavra et Brasil e Desenvolvimento
credit photo: café babel
Modification: 17/11/09 14h07 après les corrections de Joao Telésforo.

samedi 14 novembre 2009

Un Brésil arc en ciel


Il est des événements qu'on ne peut manquer sous aucun pretexte quand on a la chance d'être proche du lieu. Le dernier jour au Brésil, attendant un avion sur la plage de Copacabana où il pleuvait abondamment se déroulait la Gay Pride Carioca. Une grande et belle fête.

Ce premier novembre, on a vu "O pais de todos" prendre une teinte arc en ciel pour qu'enfin l'homophobie soit criminaliser comme le mérite toute sorte de discrimination, de ségrégation et de violence ayant pour pretexte la couleur de peau, l'orientation sexuelle ou bien le genre.
Cette manifestation politique et festive faisait échos aux propos honteux du gouverneur du Paraná, Roberto Requiao, qui le 28 octobre dernier, avait fait preuve d'humour relatif en accusant les Gay Pride de favoriser le cancer du sein chez les hommes. Choquant mais prévisible de la part d'un homme qui dirige l'un des états les plus conservateurs du Brésil et qui dénombre 160 homosexuels et travestis assassinés en 15 ans.
Requiao fut l'une des cibles des discours politiques qui inauguraient le défilé. Associations de gays, de lesbiennes, de travestis mais aussi Carlos Minc, ministre de l'environnement ont pris la parole a la tribune pour réafirmer l'égalité des individus quelque soit leurs préférences amoureuses.
Le mouvement LGBT a l'avantage de savoir de revendiquer ses droits en faisant la fête. La gay pride a une forte signification politique mais c'est aussi un rassemblement musical ample qui brasse toute la population pour danser sur des rythmes électroniques. Une longue techno parade qui commence en après midi et se termine bien plus tard dans la nuit.
Sous les fenètres du Copacabana palace, prison en marbre pour millionaires, se répand la joie de vivre et la "perversité" populaire. Le contraste est saisissant entre ces touristes pompeux de caviar et de cigarres qui capturent l'événement depuis les fenètres de leurs cages dans leurs appareils photo miniatures et le bas peuple de la rue, déguisé, fardé, travesti qui danse et se dandine.
Les couples s'embrassent goulument, une telle journée n'est pas digne d'une quelconque retenue sociale. Les travestis passent parmi le cortège, ces hommes au genre confus repoussent les limites du mimétisme féminin. Certains décident de la vivre tout simplement, d'autres montent leur spectacle en haut des chars embrassant la foule d'un regard polisson.
Tout le long du défilé, on ressentait une liberté incroyable comme s'il s'agissait d'une zone à part en dehors de l'oeil inquisituer du Big Brother moraliste. Une leçon de réapropriation de l'espace public qui prenait une signification bien plus politique que le laissait paraitre ses talons hauts pointure 45.

jeudi 12 novembre 2009

Retour en image sur le festival d'Ozogoche

Au mois de septembre, a eu lieu à Ozogoche, le septième festival des cultures vivantes en l'honneur des oiseaux cuvivis. La Otra Esquina avait filmé un certain nombre de chansons, de danses, de théatre et les met aujourd'hui à disposition sur Internet. Trois vidéos sont reproduitessur Réaction à Show. La première est une chanson bolivienne en l'honneur d'Evo Morales, égérie indigène andine dans la lutte contre l'hégémonie yankee. La seconde est une danse traditionelle péruvienne. La troisième vidéo est une pièce de théatre en quetchua (mais compréensible par tous) sur la colonisation et l'explotation des peuples autochtones par l'homme blanc. Ici vous pouvez retrouver une démonstration de danse colombienne.






lundi 9 novembre 2009

Le grand nettoyage


Brasilia est en pleine restructuration: Une course contre la montre a débuté et le compte à rebours placé à coté du terminal de bus ne laissent plus que 150 jours avant les festivités grandioses du 21 avril à l'occasion des 50 ans de la demoiselle.

La réforme passe, entre autre, par une modernisation du commerce. Brasilia se veut à l'image des grandes métropoles occidentales (comme quoi certains n'ont pas tout compris) et elle doit se débarrasser de tout ce qui fait d'elle une capitale d'Amérique Latine. Les commerçants sont dans la ligne de mire du gouverneur Arruda car le commerce informel donnerait une mauvaise image de la cité aux touristes qui devraient arriver en masse dans les prochaines années.
Un grand nettoyage est en route. La première étape vise à changer tous les kiosques à journaux et débitants de dépannage qui se trouvent dans les quadra résidentielles. Aujourd'hui, ce sont des baraquements en taule bleue pas toujours très récents. Le gouverneur du District Fédéral (GDF) a entrepris un partenariat avec une régie publicitaire pour rénover tous ces locaux. De nouveaux postes vont être installé grâce au financement aux deux tiers de la publicité, la partie restante revenant à la charge du commerçant.
Ils ont beau ne pas être informels et faire partie de l'identité brasiliense, les artisans et commerçants qui travaillent au pied de la tour de la Tv voient leur lieu de travail en danger. Le GDF a décidé de les déloger, ils ne rentrent pas dans le cadre des festivités du 50 ième anniversaire. Leurs tentes agencées dans des allées étroites ne conviennent pas à Arruda qui veut une ville qui scintille et qui sente l'eau de javel. Les anciens babs, les noirs et les rasta qui vendent souvenirs et breloque de la capitale n'intéressent pas le pouvoir politique qui a de grand projet pour cette place centrale de Brasilia, point de convergence des touristes et des brasilienses en fin de semaine situé entre les deux ailes du Plano Piloto, à mi distance entre le terminal de bus et le Parque da Cidade. Les travaux sont déjà en marche pour que tous soient relocalisés en contre bas, à coté de la route, éloigné de la tour mais la résistance se construit du coté des chaland et de la population. Une pétition circule et les vendeurs profitent de chaque acheteur pour lui expliquer leur sort. Habitants de la capitale, étudiants et professeurs se mobilisent en partenariat avec les artisans. Le département d'architecture et d'urbanisme de l'UnB lutte pour que le projet de Niemeyer soit respecté. Être classé au patrimoine mondial de l'Unesco ne signifie pas seulement préserver les monuments mais aussi l'esprit de la ville.
La lutte des commerçants de la tour de la Tv est un exemple de la confiscation de l'espace public comme le conçoient Arruda et cie pour faire de Brasilia une ville de diplomates et fonctionnaires bourgeois. Le nettoyage de la place annonce un projet bien plus mercantile organisé par le vice gouverneur Paulo Octavio, magnat de l'immobilier, de l'automobile, et des médias. L'esplanade, vidée de ses artisans, ne restera pas vierge de chaland pendant longtemps. Octavio a déjà de nouvelles cabanes prêtes pour installer ses propres vendeurs et ses propres bénéfices.

crédit photo: perso septembre 2007

mardi 3 novembre 2009

Pour une nouvelle citoyenneté brésilienne


Je reprend ici un texte écrit par Parana, grand ami brésilien, étudiant de l'UnB, journaliste et militant au sein du groupe "Brasil e Desenvolvimento", l'une des jeunes voix les plus éclairées de la capitale. Traduit par mes soins, le texte est un manifeste pour une révision complète de la citoyenneté brésilienne pour les institutions publiques mais surtout pour le peuple directement appelant à rompre les barrières mentales qui enferment la pensée brésilienne dans un carcan péjoratif.

Peu de gens débatent du Brésil sans évoquer les éternels clichés: “le pays du futur”, “les deux Brésil”, la diversité culturelle, les merveilles naturelles, les problèmes éternels. Dans ce bazar de préjugés, nous continuons à tisser un pays incrédule, contradictoire par lui-même. « Le peuple qui ne désiste jamais » contre « une bande de fainéant », « le peuple de la foi » contre « le peuple de la fête », « la prochaine grande puissance » contre la maison de maman Joana ».
Un nouveau moment de fête, une nouvelle occasion de nous confronter en tant que brésiliens. Lula [élection présidentielle en 2010 et film à venir sur sa biographie NDT], Jeux Olympiques, Coupe du Monde, fin de la crise, croissance économique, repositionnement diplomatique. Et maintenant ? Nous attacherons nous aux même préjugés pour penser le Brésil ? Se limiter au présent n’est pas une nouveauté au pays du futur. A l’ouest, rien de nouveau. L’Amazonie de nos problèmes ne s’est jamais adapté à l’Arizona de nos solutions. Nous importons des rèegles et nous exportons les bénéfices tout en doutant de nous et en priant pour une solution miraculeuse. Cela doit-il être de la sorte ?
Si penser le futur c’est regarder par soi même, il est temps que nous abandonnions le défaitisme du colonisé, il faut que nous reformions la citoyenneté brésilienne. Loin d’une ode au nationalisme juvénil, d’un Brésil au maillot jaune, nous avons besoin de nous redécouvrir par l’anarchie créatrice, par le syncrétisme insurgé, par l’imagination excentrique. Nous avons besoin, pour parler des caractéristiques brésiliennes, de foi et de persevérance pour affronter nos problèmes ainsi que de style et d’imagination dans la conception de solution innovantes, NOS propres solutions. Nous avons besoin d’une reformulation radicale, d’expérimentalisme institutionnel, et de détachement face au présent.
Prendre notre destin entre nos mains signifie être désobéisant, battre du pied contre la dépolitisation généralisé, lutter contre l’immobilisme social. Pour favoriser le protagonisme populaire, nous comptons sur la politique, une démocratie intense et une planification pour le changement. Les préjugés tel que « aucune solution pour ce pays », ou bien « tous pourris » ne sont rien de plus qu’une brise agréable pour les conservateurs, ils maintiennent les inégalités de toujours et préservent les faux bénéfices.
Beaucoup de choses se sont améliorées lors de ces dix dernières années, c’est vrai. Le pays s’est développé, des richesses ont été réparties, on a gagné en prestige sur la scène internationale. Un consensus s’est construit à propos de minimaux sociaux qui orienteront les politiques à venir – peu de gens s’opposent au fait que le combat contre la faim, l’éducation, ou bien contre les inégalités ne doivent pas être des priorités du gouvernement – mais nous avons besoin de bien plus.
L’éducation doit être transformatrice, qu’elle ne soit pas la négation de notre nature, nous avons besoin d’une redistribution des richesses, d’une égalité en condition, la fin des préjugés, et une vrai justice sociale. Nous avons besoin, avant toute chose, de perdre les vieilles convictions, larguer les amarres du sens commun sans critique. Croire au futur et dans la force d’une nouvelle génération c’est croire en la possibilité d’une nouvelle autoestime et d’une nouvelle citoyenneté brésilienne qui ne pourra être redécouverte qu’à travers la participation de tous et de toutes.


crédit photo perso: avril 2008 UnB

Claude Levi Strauss vu par un lycéen de terminal


En 2003, je présentais mon travail final de TPE (travail personnel encadré) lors des épreuve du Bac. En nous focalisant sur la sociologie et la philosophie, nous abordions la civilisation aborigène australienne. L'une des références bibliographiques majeure de ce travail était Claude Levi Strauss (décédé aujourd'hui). La lecture de Races et Histoire fut un choc pour l'adolescent que j'étais à l'époque. Cette oeuvre reste l'un des piliers de mes références intelectuelles. Je reproduis ici le texte écrit à l'époque, résumé du livre focalisé sur le peuple aborigène. Il faut le lire en comprenant le contexte et l'âge de l'auteur car il est dénué de l'analyse et de la méthologie universitaire.


Claude Lévi-Strauss, universitaire et anthropologue français a écrit de nombreux ouvrages ayant marqué l'évolution de la pensée en sciences sociales, parmi lesquels: Les structures élémentaires de la parenté (1949), Anthropologie structurale I & II (1958 et 1973), La pensée sauvage (1962), Mythologiques (4 vol.,1964, 1967,1968,1971). Il a plus récemment publié Histoire de Lynx (1991) Regarder, écouter, lire (1993) et Saudades do Brasil (1994).Race et Histoire a été écrit en 1952 à la demande de l’UNESCO qui lui avait demandé de se pencher sur la question du racisme .Il fut accompagné en 1971 de Race et Culture, un second ouvrage sur le même thème. L'auteur y décrit à travers une étude ethnologique et philosophique, l'attitude de l'Homme envers l'étranger tout au long de l'histoire.

La diversité culturelle existe depuis toujours mais elle n'est jamais apparue à l'Homme pour ce qu'elle est : un phénomène naturel .Cette diversité a provoqué une attitude ancestrale qui consiste à se considérer comme la seule race «humaine». Si on sait que ce comportement est courant chez les occidentaux, il faut savoir qu'il ne leur est pas exclusif, et qu'il était assez coutumier des civilisations primitives. Ce n'est que bien plus tard, avec les Lumières, qu'est venu l'idée d'une humanité sans distinction de race ou de civilisation.

L'idée qu'une race est supérieure a été confortée par une thèse scientifique détournée de l'évolutionnisme biologique de Darwin ,l'évolutionnisme social. La sélection naturelle et la loi du plus fort ,qui se sont appliquées très probablement dans le monde animal ,ont été transposées dans le monde humain, pour démontrer la supériorité de la civilisation occidentale vis à vis des civilisations indigènes. Elle les assimilait aux Hommes de Néandertales car ils utilisaient encore des outils taillés dans la pierre et exécutaient toujours des peintures rupestres.

L'occidental aime ainsi retrouver son passé dans les différentes cultures. Certains éléments y sont similaires mais pas tous. Considérer que deux civilisations (l'une actuelle et l'autre disparue) sont identiques, relève du racisme car on trouve l'actuelle arriérée, de plus, cela est démenti par les faits. Lévi-Strauss ajoute à ce sujet qu'« il n'y a pas de peuples enfants tous sont adultes, même ceux qui n'ont pas tenu le journal de leur enfance et de leur adolescence ».

Si l’on retrouve des éléments communs entre deux civilisations, c’est que ces indigènes ont contribué au progrès en occident. Les expéditions ont permis aux occidentaux d’enrichir leur mode de vie et leur culture sous différents aspects. Ils ont ainsi ramené de leurs voyages aux Amériques: la pomme de terre, la tomate, le caoutchouc et la coca ( à l’origine de l’anesthésie). D’autres civilisations ont aussi démontré leurs capacités sur le plan scientifique. Les Inuits et les Bédouins ont montré leurs capacités à vivre dans un milieu hostile. L’Islam a formulé une théorie solidaire sous toutes les formes de la vie humaine qui lui a permis de dominer toute la vie culturelle du Moyen-Age .Le Moyen-Orient eut pendant longtemps une avance considérable en médecine. Quant aux Mayas, ils découvrirent et utilisèrent le 0 (zéro) des mathématiques modernes bien avant les Arabes qui nous ont donné leurs chiffres .

En ce qui concerne la famille et l’harmonisation entre groupes familiaux et sociaux, les Aborigènes ont développé, de façon consciente et réfléchie, un système de règles si complexes que l’on est obligé, pour les comprendre, de faire appel aux formes les plus raffinées des mathématiques modernes. Ils ont découvert que les liens du mariage formaient un canevas et que les autres institutions sociales n’étaient que des broderies. Les relations qui se forment grâce aux inter-mariages peuvent conduire à la formation de larges charnières qui maintiennent et assouplissent l’édifice social. Ils ont inventorié les principales méthodes permettant de les réaliser avec, pour chacune, les avantages et les inconvénients. On peut donc saluer en eux, non seulement, les fondateurs de la sociologie générale mais aussi les précurseurs de la mesure dans les sciences sociales.

En regroupant des éléments de chaque civilisation, l’Homme va de l’avant et progresse. Chaque progrès technique est le résultat d’une coalition de culture. L’unique tare qui puisse affliger un peuple, et l’empêcher de se réaliser pleinement, est d’être seul.

Toutes les cultures ont donc, à un moment ou un autre, apporté quelque chose à une civilisation. Mais chacune n’apporte pas la même chose à deux civilisations distinctes. Cela dépend de ses centres d’intérêts. Autant une civilisation peut apporter beaucoup à une civilisation donnée. Dans ce cas, on parle de culture cumulative : c’est à dire que son développement a un sens pour cette autre civilisation. Elle peut aussi lui sembler stationnaire voire régressive, et donc n’avoir aucun intérêt, si elle ne lui apporte rien qui ne l'intéresse . Cela signifie qu’elle peut se développer mais que sa façon d’évoluer n’a aucun sens pour l’autre.

L’ethnologie aime d’ailleurs voir comment chaque civilisation retient ou exclut les éléments d’une autre civilisation. Elle aime déceler les origines secrètes de chaque option.

Lévi-Strauss pense que la civilisation occidentale est supérieure à toutes les autres car le monde entier lui emprunte ses techniques, son mode de vie, ou ses distractions. Cette adhésion au genre de vie occidentale résulte plus « d’une absence de choix ou une obligation que d’une décision libre comme certains aiment le croire ». Ils ont établi leurs soldats, leurs comptoirs, ou leurs missionnaires. Ils sont intervenus plus ou moins directement dans la vie des indigènes, puis l'ont bouleversée de fond en comble, afin d’instaurer des conditions qui ont engendré l’effondrement des cadres existants sans les remplacer. En l’absence de règles, les peuples se réfugiaient dans les règles occidentales. Cette attitude ne fut pas propre aux occidentaux car toutes les civilisations, depuis la nuit des temps, ont agi de la même façon. Cependant, on peut penser que les occidentaux soient le seul peuple qui ait mis autant d’énergie à s’étendre, ce qui leur a permis de forcer le consentement.

Les institutions internationales ont bien compris que la diversité des cultures, dans un monde menacé par la monotonie, est un phénomène qu’il faut préserver. Il ne suffira pas pour atteindre ce but, de favoriser les traditions locales et d’accorder un répit aux temps révolus. C’est le fait de la diversité qui doit être sauvé, non le contenu historique que chaque époque lui a donné et qu’aucune ne saurait perpétuer au delà d’elle même. Il faut, pour les années à venir, être prêt à accueillir sans surprise, sans répugnance, et sans révolte ce que ces nouvelles formes sociales ne manqueront pas de nous apporter. La tolérance n’est pas une attitude contemplative, mais une attitude dynamique « qui consiste à prévoir, à comprendre, et à promouvoir ce qui veut être ». « La diversité des cultures humaines est derrière nous, autour de nous, et devant nous ». La seule exigence que nous puissions avoir à l’égard de cette diversité est « qu’elle se réalise sous des formes dont [ chaque culture ] soit une contribution à la plus grande générosité des autres ».

La guerre pour l'eau, bien commun


Reprise d'un article du Grand Soir, écrit par Raúl Zibechi qui explique, la lutte des mouvements indigènes contre la nouvelle loi sur l'eau qui ouvre la porte à une possible privatisation de cette ressource considérée comme un bien commun de l'humanité.

À la fin de septembre s’est produit un soulèvement indigène en Équateur, cette fois pour la défense de l’eau, menacée par l’exploitation minière à ciel ouvert. Les organisations amérindiennes font face maintenant à un gouvernement qui se proclame antinéolibéral, partisan du “socialisme du XXIe siècle” et conduisant une“révolution citoyenne”

« Ce qui s’est passé à Cochabamba avec la guerre de l’eau, sera une miniature par rapport à ce qui va arriver en Equateur, car ce qui arrive c’est un soulèvement » déclare sur un ton persuadé Carlos Perez Guartambel, président de l’Union des Systèmes Communautaires de l’Eau d’Azuay [1]. Son point de référence est la Guerre de l’Eau à Cochabamba, en Bolivie, une insurrection sociale qui a obtenu d’inverser la privatisation et a marqué le début, en avril 2000, au cycle de protestations qui amenèrent Evo Morales au gouvernement.

« Mes parents m’ont appris que l’eau et le feu se partagent et ne se vendent pas », dit-il presque indigné pendant qu’il se rend à une assemblée communautaire à la Victoria del Portete, dans une vallée vaste et riche située à une quinzaine de kilomètres de Cuenca (capitale de la province méridionale d’Azuay), jolie ville coloniale pleine de touristes. Lorsqu’il tourne sur la route Panaméricaine vers la droite, il nous montre la maison de ses parents, où il est né il y a un peu plus de 40 ans.

« Enfant, j’allais à la fontaine pour chercher de l’eau avec un pichet d’argile. On le recouvrait avec le pocón, la feuille de maïs qui est biodégradable. Jamais je n’avais imaginé qu’un jour j’irai acheter une bouteille d’eau, jamais. Chaque litre vaut un dollar et 30 cents c’est-à-dire que le litre d’eau coûte plus cher qu’un litre de lait et un litre d’essence. La lutte pour l’eau va être la lutte pour la vie ». La différenciation sociale provoquée par les envois de fonds des émigrés peuvent se voir à l’oeil nu : à côté des modestes maisons aux toits de tôle, se dressent des grandes bâtisses de trois étages à vocation d’habitation, même si leurs propriétaires sont encore des agriculteurs. Carlos Perez est quechua et avocat spécialisé en droit communautaire avec des diplômes obtenus sur les questions environnementales, avec un livre remarquable sur la justice communautaire. Ces dernières années, il a consacré tous ses efforts pour résister à l’installation d’entreprises minières avec des noms éloquents comme IAM Gold, sur les hauteurs de Quimsacocha, où naissent les sources qui irriguent la vallée dans laquelle des milliers de paysans pratiquent l’élevage du bétail. Il appartient à une nouvelle génération de dirigeants indiens, formés dans les universités, qui parlent plusieurs langues, participent à des forums internationaux, maîtrisent les nouvelles technologies mais restent attachés à leurs communautés et continuent de parler leur langue maternelle.

Quand nous arrivons à Victoria del Portete, il est garé au bord de la route où plusieurs centaines de villageois sont entassés sur une vaste esplanade entre le conseil paroissial et l’église. Il monte au balcon de la mairie et déclare ouverte l’assemblée du système local de distribution de l’eau qui devra prendre des décisions importantes. « Si les gouvernements précédents nous menaçaient avec la privatisation de nos réseaux d’approvisionnement en eau, ce fantôme est maintenant parti. Mais nous avons un autre, l’exploitation minière qui est la plus grande menace », dit-il avant l’ouverture de la réunion.

Dans cette région fonctionne le Projet Nero depuis 24 ans, peut-être le plus grand système communautaire de distribution de l’eau car il approvisionne six mille familles, soit quelques trente mille personnes de 45 communautés. « Au départ, les familles s’installaient près de la rivière ou de la source, jamais près de la route parce qu’elles préféraient être près de l’eau. Ensuite, les rivières ont été polluées et les sources sont restées petites et cela a fait que dans les années 60 et 70 sont apparues des organisations comme Caritas qui installèrent des pompes manuelles dans les centres paroissiaux où les gens faisaient la queue pour obtenir de l’eau. Mais d’autres ont commencé à envisager d’installer eux-mêmes tout le réseau, lors de Mingas communautaires [*], et là il n’y avait plus besoin de transporter l’eau à dos d’homme mais pour la première fois avoir le robinet à la maison », dit Perez en rapportant l’histoire de sa communauté.

Au fil des années, les systèmes d’eau communautaires se sont répandus dans tout le pays. Dans la province d’Azuay il existe 450 systèmes, qui fournissent 30% de la population, surtout dans les zones rurales et les périphéries urbaines. Dans tout l’Équateur il y aurait environ 3.500 systèmes d’eau, construits, entretenus et gérés par les communautés elles-mêmes.

Un soulèvement différent

Le 27 septembre, la CONAIE (Confédération des nationalités indigènes d’Equateur) a lancé une nouvellle mobilisation contre la Loi sur l’Eau à laquelle elle n’a pas participé. Le projet de loi du gouvernement est arrivé au Parlement à la mi-août, mais déjà en 2008 le CONAIE avait développé son propre projet qui n’a pas été pris en compte par l’exécutif. La critique portée par les mouvements est que la Loi sur les ressources hydriques permet le développement de projets miniers dans les zones de naissance des cours d’eau, assure la fourniture en eau des exploitations minières, mais pas pour les communautés autochtones et paysannes, et n’aborde pas la question urgente de la pollution des cours. En outre, cette loi vise à englober les systèmes d’eau communautaire dans une autorité centralisée de l’État, de sorte que les communautés perdront le contrôle sur la ressource. Ricardo Buitrón de Acción Ecológista a mené une étude détaillée de la loi et estime qu’elle « contient des éléments de privatisation, comme le transfert de l’usage de l’eau avec celui de la propriété foncière et l’utilisation de l’eau dans l’industrie ou dans les affaires à d’autres endroits. Egalement que les infrastructures hydrauliques deviennent propriété de particuliers, que les eaux de surfaces retenues – dans les zones humides – fassent partie intégrante des prés, de la terre »[2]. De cette manière, les eaux pourront être acquises par ceux qui achètent la terre et en donneront l’usage selon leur convenance.

Il critique également cette loi car elle ne dispose d’aucun élément permettant la déprivatisation, en vue d’inverser la situation où les eaux sont maintenant dans des mains privées. Et que les milliers de conseils locaux des systèmes d’eau potable n’aient pas de participation réelle car leurs membres deviennent des usagers ordinaires assujetties à une Autorité Unique étatique qui contrôlera tout le réseau hydraulique. Humberto Cholango leader de Ecuarunari, l’organisation quechua de la Sierra, a recueilli des données éloquentes lors de la conférence de presse du 24 septembre [3] : 45% de l’eau est légalement cédée (par des concessions), mais 55% est utilisé illégalement, 1% des utilisateurs consomment 64% de l’eau distribuée et 86% des Equatoriens n’accèdent qu’à 13% de ce volume global. « La loi est muette sur ces points, et le Plan National de Développement favorise l’exploitation minière et la floriculture ».

La loi n’envisage pas de sanctions pour la pollution ni le contrôle de la qualité de l’eau. « Le droit humain à l’eau est restreint à l’accès à l’eau potable et à son usage domestique, sans prendre en compte le droit lié à la santé, à la souveraineté alimentaire et à la culture », ajoute Buitrón.

Cholango, quant à lui, a souligné le rôle des communautés amérindiennes dans la construction des réseaux de distribution de l’eau : « Nous avons construit des canaux d’irrigation, des réseaux d’eau potable, et maintenant avec la présente loi du gouvernement, ils veulent nous transformer en simples usagers et que nous ne soyons plus des acteurs. Dans l’article 97, ils en viennent à établir le contrôle et l’administration exclusive des systèmes communautaires à l’Autorité Unique. Il s’agit d’une attaque à nos conseils de l’eau » [4]. Le résultat, à son avis, est que la loi donne la priorité de l’usage de l’eau pour l’exploitation minière.

Quand les protestations ont commencé, avec barrages de routes et manifestations pour forcer le gouvernement à dialoguer et écouter sa propre Loi sur l’Eau, inspirée par le Sumak Kawsay, le Bien Vivre [**] que garantit la Constitution, la réponse du président Rafael Correa a été très dure. « Que croient-ils ces dirigeants ? » dit-il. Il les a accusé d’être des « extrémistes », de « faire le jeu de la droite » et de putchistes, en comparant la situation équatorienne avec le Honduras [5].

Le 30 septembre, la police a tiré sur des amérindiens Shuar dans la province amazonienne de Morona Santiago. Selon un communiqué d’Acción Ecológista, Bosco Wizuma, enseignant bilingue, est mort d’une balle alors qu’il faisait partie d’un groupe de 500 personnes qui avaient bloqué le pont sur la rivière Upano. Apparemment, c’était un "piège" parce que au même moment les dirigeants étaient appelés à un dialogue « pour détourner l’attention de la direction et les médias locaux » [6].

Il y a eu aussi des dizaines de blessés, dont plusieurs policiers. Le Président Correa a vite changé son discours et a appelé au dialogue : « Bienvenue frères. Ce gouvernement est le vôtre, celui des peuples autochtones, le Palais de Carondelet est à vous » [7]. Peut-être que c’était la seule façon de désamorcer un conflit qui menaçait la stabilité de son gouvernement. Même si le soulèvement n’a pas commencé avec la puissance des mobilisations indiennes antérieures, les enseignants et les autres secteurs sociaux s’y sont joints dès le départ. Mais quand il y a un mort, tout est possible.

Dialogue et tension

La direction de la CONAIE a décidé de suspendre les actions pendant la période de négociation que le gouvernement a ouvert. Cependant, dans la plupart du pays, les bases, c’est-à-dire les communautés ont continué de couper les routes et de fermer les marchés. Une division est née entre les organisations membres de la CONAIE, en particulier entre la sierra (Ecuarunari) et la forêt (Confeniae).

Le climat de méfiance n’a pas reculé. Le lundi 6 octobre, un dialogue direct télévisé a débuté au siège du gouvernement, au Palais de Carondelet. Des milliers d’Indiens se sont rassemblés à l’extérieur pendant des jours dans l’attente des résultats. Cent trente dirigeants entrèrent dans le palais et se sont entretenus avec Correa, dans un climat tendu. Le premier jour, six accords ont été conclus et, parmi les plus importants, on peut noter : l’institutionnalisation d’un dialogue permanent entre les deux parties, que le gouvernement examinera le projet de Loi sur l’Eau de la CONAIE et qu’il recevra une proposition de la part du mouvement indigène à propos de la Loi sur l’Exploitation Minière.

Un bon exemple du climat qui a prévalu dans les négociations est le dialogue suivant. « Marlon Santi, président de la CONAIE, a demandé le respect envers les autochtones. Ses paroles étaient liées à des déclarations dans lesquelles ils ont été décrits comme des ‘ fous’ qui n’avaient pas de représentativité. L’exigence était directe. Correa s’est interrompu et a demandé les noms des fonctionnaires pour ‘les virer immédiatement du gouvernement. Quel est cet imbécile ?’ a demandé Correa deux fois. ‘Vous, Président’ a répondu le dirigeant indien » [8].

Les organisations autochtones ont réussi à institutionnaliser le dialogue comme elles le voulaient. Le 14 octobre l’exécutif a promulgué le décret n° 96 qui établit la formation d’une Commission mixte composée de la CONAIE et ses trois filiales (la Côte, la Sierra et l’Amazonie) et pour le gouvernement, le ministère de la Justice, le secrétariat les Peuples, des Mouvements sociaux et de la Participation citoyenne et diverses institutions. La commission va examiner les deux lois sur l’eau (celle de l’Etat et celle des amérindiens) ainsi que des propositions de réforme de la loi minière en vigueur.

Mais l’échange d’accusations s’est poursuivi. Après la retransmission des samedis de Correa [***] la dirigeante amazonienne et ex-députée Monica Chuji a accusé le président d’être raciste : « Je réaffirme que les mots, les gestes et les actions du Président le caractérisent comme un raciste. Traiter les leaders indigènes de ‘culottés’, ‘réacs’ et de ‘ponchos dorés’ sont des expressions racistes. Utiliser le kichwa pour des intentions démagogiques et ensuite nier son officialisation est une attitude raciste. Minimiser la population indigène équatorienne en la réduisant à un vote dans les urnes est une attitude raciste » [9]

Bien qu’il soit important que le conflit ait été désactivé, d’autant que le précédent du massacre de Baguá [10], au Pérou, avait fait craindre le pire, les différences sont encore importantes. Pepe Acacho, président de la Fédération Shuar (de l’Amazonie) n’est pas d’accord avec les résolutions : « Nous avons lutté huit jours et il n’est pas juste que nous n’ayons pas obtenu que Morona Santiago soit déclarée province écologique, libre de toute exploitation minière et pétrolière » [11].

Le modèle de pays comme problème

La nouvelle Constitution équatorienne est l’une des plus avancées au monde en matière d’environnement, au point qu’elle définit la nature comme sujet de droit. La Constitution a été adoptée le 28 septembre 2008 par 64% des Équatoriens lord d’un référendum populaire. « La nature ou Pacha Mama, où la vie se reproduit et se réalise, a le droit que soit respecté pleinement son existence et le maintien et la régénération de ses cycles vitaux, de la structure, des fonctions et des processus d’évolution », dit l’article 71 consacré aux "Droits de la Nature".

Le problème est l’exploitation minière à ciel ouvert sur laquelle le gouvernement Correa a fortement misé. Alberto Acosta, fondateur du mouvement Alianza País qui ont conduit Correa à la présidence, et ancien président de l’Assemblée constituante, brandit un discours très proche des mouvements indiens : « La loi minière adoptée après la Constitution, menace la Carta Magna [****]. C’est le problème de fond. A quoi le devons-nous ? Sans aucun doute aux incohérences d’un gouvernement qui mène encore des politiques manifestement inspirées par la gestion néo-libérale, qui représente encore les intérêts économiques des groupes les plus traditionnels » [12].

Acosta affirme que les gouvernements progressistes d’Amerique du Sud « n’ont pas discuté ou remis en question le modèle "extractiviste" » même « les plus avancés » comme le Venezuela, la Bolivie et l’Équateur. À son avis, la croyance solide que « grâce à l’extraction des ressources naturelles nous allons trouver le chemin du développement » a empêché jusqu’à présent de dépasser ce modèle et, par conséquent, de rechercher « une nouvelle forme d’intégration dans le marché international ».

Un second problème est Correa lui-même. Acosta indique qu’il est entré recemment dans la vie politique en 2005, quand en Equateur se succèdent les révoltes indiennes depuis 1990. Il a tendance à penser en termes personnels : « Il assume le rôle de porteur de la volonté politique collective, et ne se rend pas compte qu’une grande partie du processus historique antérieur est ce qui explique les résultats positifs de Correa et Alianza País ». L’absence de structure, mouvement ou parti, conduit Correa, selon Acosta, à ne pas comprendre « qu’il est là, à la présidence, grâce à tous les efforts déployés par la société équatorienne. » [13]

L’économiste Pablo Davalos coïncide avec cette approche mais il croit également que le gouvernement de Correa continue d’être néo-libéral. Le capital est aujourd’hui devant la nécessité de « relier les territoires avec le tourbillon de la spéculation financière » comme un moyen de surmonter la crise [14]. Les mouvements ont déclaré les régions amazoniennes et méridionales de Zamora et de Morona comme des territoires libre de toute exploitation minière. La collision avec les compagnies minières multinationales semble inévitable.

Dans le gouvernement Correa, et c’est un point essentiel, il y a des membres éminents de la droite ainsi que dans le parti qui le soutient, Alianza Pais. En conséquence conclut Davalos, au-delà des déclarations sur le socialisme et la révolution, le mouvement de Correa fait partie de la « dérive du post-néolibéralisme, c’est à dire comme une continuation du néolibéralisme, mais sous les modalités de la dépossession territoriale et des ressources et de la déterritorialisation de l’Etat. »

L’alternative la plus sérieuse semble être le projet ITT, visant à laisser le pétrole dans le sol et à chercher un autre modèle de développement [15]. ITT est un sigle formé par le nom de trois puits d’exploration forés dans la zone du parc Yasuni en Amazonie (Ishpingo, Tambococha et Tiputini). Au milieu de l’année 2009, le gouvernement de Correa a repris à son compte le projet élaboré par Acosta quand celui-ci était ministre de l’Énergie et des Mines. La proposition est de ne pas exploiter le pétrole comme contribution de l’Équateur à la lutte contre le réchauffement climatique.

Les réserves ITT représentent 20% des réserves totales de pétrole du pays. L’économie équatorienne est basée sur le pétrole : 22% du PIB, 63% des exportations et 47% du budget de l’Etat dépendent du pétrole. Mais ici réside également la force de la proposition : elle permettrait d’éviter l’émission de 410 millions de tonnes de CO2 freinerait la déforestation et la pollution, et serait une grande contribution au développement d’une économie post-pétrolière.

En contrepartie, le gouvernement de l’Équateur a demandé à la communauté internationale une compensation équivalente à 50% des revenus qui pourraient être obtenus si ce pétrole était exploité. Le parlement et le gouvernement allemand ont répondu favorablement en fournissant 50 millions par an au cours des treize années de dureraient les bénéfices tirés de ces puits. La Norvège et la Communauté de Madrid ont donné des signaux positifs.

Alors que beaucoup sont impliqués dans ce projet qui représente une révolution écologique, Acosta fait valoir qu’il « a vu le jour à partir des luttes de résistance des peuples autochtones, en particulier dans le sud-centre de l’Amazonie qui visaient à empêcher que l’activité pétrolière s’étende jusqu’à leurs territoires ainsi que les groupes de colons métis dans le nord de l’Amazonie et les peuples autochtones touchés par l’activité de la compagnie Chevron. »[16]

Notes1 Entretien avec Carlos Pérez.
2 Ricardo Buitrón, El Telégrafo, op. cit.
3 Voir la conférence de presse sur en www.youtube.com/watch?v=tN3x3vE1jfE.
4 Communiqué de Ecuarunari dans Ecuachaski du 17 septembre 2009.
5 Agence AFP, Quito, 25 septembre 2009.
6 "Noticias del Levantamiento en Defensa del Agua-1" à : www.accioecologica.org.
7 El Comercio, Quito, 3 octobre 2009.
8 El Comercio, 6 octobre 2009.
9 Déclarations du 11 octobre sur : http://ukhamawa.blogspot.com.
10 Voir "Masacre en la Amazonia : la guerra por los bienes comunes" sur http:// www.ircamericas.org/esp/6181.
11 El Comercio, 6 octobre 2009.
12 Entretien avec Alberto Acosta, 6 septembre 2009.
13 Idem.
14 Pablo Dávalos, op. cit.
15 Matthieu Le Quang, entretiens avec Alberto Correa ; Alberto Acosta, Eduardo Gudynas, Esperanza Martínez et Joseph H. Vogel, "Dejar el petróleo en tierra para el Buen Vivir : Elementos para una propuesta política, económica y ecológica para la iniciativa de no explotación petrolera en la Amazonia de Ecuador," Programa de las Américas Informe de la política (Washington, DC : Center for International Policy, 7 de julio de 2009) : http://www.ircamericas.org/esp/6238.
16 Idem

NdT[*] La Minga communautaire est le terme indigène pour travail collectif, communautaire, bénévole. Depuis ces dernières années, Minga signifie aussi moment de résistance, de mobilisation collective pour la défense des communautés.
[**] Le préambule de la nouvelle constitution de l’Équateur invoque la Pachamama, Dieu, Simón Bolívar et le général Eloy Alfaro et s’engage à « construire une nouvelle forme de coexistence citoyenne, dans la diversité et en harmonie avec la nature, pour atteindre le bien vivre, le sumak kawsay ». Les droits au « Sumak Kawsay », un concept issu de la culture quechua, sont déclinés dans le chapitre 2 de la constitution : droit à l’eau comme bien commun inaliénable, droit à la souveraineté alimentaire et énergétique, préservation des écosystèmes et de la biodiversité…
[***] Le “Informe semanal de los sabados“ est une émission de télévision hebdomadaire, relayée sur des chaînes de radio, d’une durée de 2h30 environ, dans laquelle Correa fait son “rapport hebdomadaire” aux téléspectateurs sur ce qu’il a fait dans la semaine écoulée.
[***] Carta Magna = Constitution

Raúl Zibechi est analyste international pour l’hebdomadaire Brecha de Montevideo, professeur et chercheur sur les mouvements sociaux à la Multiversidad Franciscana de América Latina et conseiller auprès de plusieurs groupes sociaux. Il écrit le « Rapport mensuel de Zibechi » pour le programme de las Américas (www.ircamericas.org).

photos: crédit perso 2009

vendredi 23 octobre 2009

Brasilia prépare frébrilement 2010

Nous ne sommes que fin octobre mais déjà les bus de Brasilia nous souhaitent un "Feliz 2010". Le consumériste prématuré de la nativité est désormais une chose commune mais cette année tout Brasilia attend 2010 avec impatience, anxiété, et beaucoup d'expectatives.

Prenons de l'avance, nous sommes le 21 avril de l'année prochaine, dans la nuit sur l'esplanade des minitères de Brasilia. Paul Mac Cartney devant plus de un million de personnes présente un show incomparable dan l'histoire de la capitale brésilienne. Le spectacle pirotechnique qui s'en suit est á la hauteur des 50 ans de Brasilia.
2010, ce sera donc les 50 ans de l'inauguration par Jucelino Kubitchek du projet de Lucio Costa et Oscar Niemeyer. Partis de rien ils ont fait surgir de terre une ville totalement planifiée.
2010, ce sera pour la capitale mais aussi pour le Brésil entier une occasion de renouveler (?) la classe dirigeante au niveau de l'État, des deux chambres législatives, et des états.

Oui mais voila, on ne fête pas un demi siècle d'exitence en laisant apparaître les fissures qui lézardent les murs de la ville. Une grande rénovation est en cours pour que Brasilia soit resplendissente lorsque viendra le moment des bougies. Du terminal national au Palais du Planalto (siége de la présidence de la République), de la tour de la TV au mémorial JK, de la nouvelle chambre législative du District Fédéral à la route de à Planaltina, toute la capitale est en oeuvre. Rénovation massive qui colmate les brèches, repeint les murs et tente de désengorgé le traffic. Le maître d'ouvrage de ce chantier gigantesque se nomme Roberto Arruda, gouverneur du DF depuis quatre ans. Affilié au répugnant partis des Démocrates (droite stupide), il est resté bien au frais depuis son élection mais une crise de claustrophobie l'a fait sortir depuis peu pour voir à quoi ressembler la ville qu'il administrait. Depuis que Brasilia est candidate pour recevoir des matchs de la coupe du monde de 2014, il enchaine les nouveaux contrats, les rénovations et les inaugurations. Plusieurs millions de reais sur le tapis et une présence publicitaire à tous les coins de rue. Le gouvernement du DF fait savoir à grand renfort de propagande dans la rue et dans les journaux (le Correio Brasiliense se soumettant totalement à la farce et cédant de nombreuses pages chaque jour pour faire l'éloge du gouverneur).
A un an des élections, la majorité pense ardemment au futur scrutin. Même face à une opposition délabrée, Arruda ne veut prendre aucun risque, il veut une réelection magistrale et pour cela il compte bien profiter de l'argent publique pour sa propre image.

credit photo: perso septembre 2007

vendredi 9 octobre 2009

Meu país tropical


Mois d'octobre silencieux. Il ne fait pas bon vivre occuper une chaise en paille en ces temps de lombaires douloureux... mais on se soigne et pour la peine direction Rio de Janeiro puis Brasilia
Retour aux sources et à cet air sucré et acide de la caipirinha. Une large colaboration universitaire est en vue dans le cadre de la Otra Esquina.

Plus tard des récits, des combats. des images...

lundi 28 septembre 2009

Syn-cretinisme

Ce week-end, les hauteurs bourgeoises du nord de Quito recevaient une cérémonie de San Pedro. Un culte syncretique qui reprend des élements spirituels de plusieurs religions.

Le San Pedro est un breuvage d'origine indigène préparé depuis des siècles par le shaman dans toute l'Amérique latine. C'est une distilation d'un cactus qui propose une nouvelle lecture de la vie via des hallucinations. Ses effets mais aussi la cérémonie qui l'accompagne sont similaires à la cérémonie de l'Ayahuasca.

A l'accueil se trouve Sergio, alias Taita, chilien aux cheveux blancs et aux lunettes aux verres progressifs. Il est le chef de cérémonie, celui qui administrera le san pedro aux invités, le leader d'un groupe urbain d'autodécouverte comme les nomme Karina Malpica. Peu à peu ils arrivent ces invités. Ils sont jeunes, quiteños pour la majorité au style vestimentaire post alternatif. Tous n'ont que très peu manger dans la journée comme le recommande tous les shamans.
Quand la nuit tombe se met à jouer le berimbau pour une introduction au son de la capoera brésilienne. Il est doux le son de l'instrument à une corde qui rappelle de bons souvenirs au coin du feu. Les flammes ardentes rendent incandescentes de lourdes pierres dissimulées parmi les buches.
Une introduction rapide puis on fait le tour des invités pour récupérer la "colaboration" qui s'élève à 10$. Vient ensuite le temps du Temascal. Un bain turc reconstitué dans une tente d'à peine 30m2 où vont s'entasser une cinquantaine de personnes assises épaule contre épaule le tout dans une obscurité totale. L'objectif est de pratiquer une toilette physique et spirituel pour se préparer à l'absorption du San Pedro. On se concentre, on chante en l'hommage à la Pachamama et en l'être humain et on encaisse à grosse goutte les différentes vagues de vapeur provoquées par l'eau sur les pierres qui sont restées des heures dans le brasier. Le vocabulaire est étrange, on mélange castillan et quetchua, on fait référence à l'homme, sa destiné, sa force, à la nature, à dieu. On mélange les symboles indigènes, chrétiens, ayurvediques et cheyenne. On répond aux incantation du Taita par des "Aho" sans grande signification qui ont un drôle de goût de "Amen". Difficile de trouver une cohérence culturelle dans tout ça qui plus est quand l'ambiance pesante sous la tente est alterner par quelques calembours du maître de cérémonie.
Il fait très chaud, très humide, les corps sont compactés et le noir est total. On peut craquer facilement pour peu d'avoir des penchants claustrophobes. Après la troisième partie de la cérémonie, une jeune femme sort en pleurs convulsée par les spasmes. Elle part en courant un peu plus loin pour reprendre ses esprits. Une deuxième est prise d'une crise de nerf à la fin. Malaise personnel devant des limites clairement dépassées.
On se sèche et on reprend ses esprits avant de se mettre en cercle pour la cérémonie du San Pedro. Le cercle est entouré de quatre portes, situées aux quatre coins cardinaux, gardées chacune par une personne qui prend soin de son entourage. Le San Pedro est halucinogène, il faut faire attention car on peut partir dans un mauvais rêve avec des conséquences diverses. Par chance Sergio est responsable, lui et ses assistants ce jour là ne prennent pas le breuvage pour pouvoir guider les invités. Il déclame des incantations en l'honneur de divers éléments piochés dans un pot pourri culturel hétérogène.

Tout comme l'Ayahuasca, le San Pedro a un goût horrible qui se rapproche d'une fermentation de tabac, c'est un moindre détail car ce sont les effets psychiques de la "medecina" qui sont recherchés. Chacun réagit en fonction de la résistance de son corps. Très rapidement, les premiers effets se font entendre, ils vomissent dans de petits sacs plastiques qu'on leu a fournit avant. Le San Pedro lave le corps et libère des mauvais esprits, c'est cela que l'on recrache pour pouvoir ensuite "prendre son envol et avoir une vie heureuse". Il peut aussi soigner certains mal, c'est d'ailleurs son usage originel. Parfois il faut prendre double ou tripple ration pour commencer le voyage. Parfois aussi cela ne marche pas, au contraire d'une drogue classique (canabis, extasy, cocaine...) les effets ne dépendent pas de la substance mais aussi de la disposition du sujet à se laisser porter. S'en suit un voyage personnel qui convient à chacun de raconter: hallucinations, visions, rêves...
Toute la nuit, les invités ressentent les effets du San Pedro, quelques uns passeront dans les bras de Morphée. Avant l'apparition du jour, le maître de cérémonie pratique un nouvelle toilette pour évacuer les derniers éléments malins qui seraient rester emprisonner de l'enveloppe corporelle. Le tout se termine avec le partage des "aliments" préparés par les femmes (signe de la fertilité et de la vie mais qui prend parfois l'aspect d'un simple reflexe machiste) lorsque le soleil fait son apparition derrière les volcans de la capitale équatorienne.
Lorsque le cercle est rompu par le Taita, il règne une drole d'ambiance parmi les invités, le rève est fini et chacun revient dificilement sur terre. Certains saisissent les instruments et commencent à danser. un autre danseur se joint à eux, exiter, il court dans tous les sens puis veut absolument voir le soleil depuis le centre du cercle formé par les musiciens. L'exitation le dépasse, il tombe dans les bras de Sergio avant de s'évanouir.
Epuisé par l'expérience, les invités dorment un peu partout sur le campement, une mère venu avec son nourisson marche nue entre les dormeurs et les campeurs qui rangent leur tente. On comprend que si on vient chercher un brin de spiritualité dans ces cérémonies c'est aussi un espace de liberté totale sans préjugés entre personne consentante que ces citoyens urbains revendiquent le temps d'un week-end.

mercredi 23 septembre 2009

Pérégrination andine (3)


Le Tungurahua est l'un des derniers volcans actifs en Equateur. En 2006, il a explosé pour la dernière fois, dévastant les alentours de Guano. Trois ans plus tard, tout n'est pas revenu à la normale, les dégats ont été trop important. Les routes d'évacuations n'ont pas toutes de l'asphalte et de nombreux problèmes restent en suspen d'une impulsion politique qui se distingue ici comme ailleurs par son inertie.

La population de Santa Fé de Galan, un petit village de 400 habitants au pied du volcan se soucient peu des gesticulations politiciennes. Leur problème est un peu plus matériel. Ces agriculteurs avaient l'habitude de pratiquer une agr¡culture diversifée mais la "mama Tungurahua" est plus toxique qu'on ne le pense.
Dans ces jours de colère, le volcan crache un nuage de fumée qui retombe lentement sur le sol. Les poumons et les yeux des habitants du secteur (jusqu'au centre ville de Guano) souffrent. La respiration est coupée et on peine à ouvrir les yeux face aux irritations que cela provoque.
La cendre volcanique n'est pas une simple poussière qui se dépose par kilos (une dizaine en un mois lors de l'erruption de 2006) sur les toits, elle s'infiltre partout et devient un ennemi de l'agriculteur. La pomme de terre d'autrefois ne résiste pas à l'acidité des cendres qui forment aujourd'hui la couche supérieur du sous sol. La solution pour continuer à tirer un subside de la terre vient de la monoculture. Cette pratique anti ecologique et dangeureuse economiquement s'est imposée aux cultivateurs locaux, en l'occurence avec le poireaux, qu'on utilise ici comme oignon.

Parfois, la mère nature sait encore se faire respecter, l'agrochimie ne peut pas tout.

credit photo: perso, le Tungurahua vu de Guano

Panorama souvenir

Nesuito, alias Jan collègue polonais vient de mettre en ligne quelques videos, souvenirs de déambulations sur les hauts plateaux andins. Machu Pichu, Salar de Uyuni et plein de bêbête sont au programme. Pour rappel, d'autres videos sont accessible sur Dailymotion et ici et la les textes qui accompagne ces nouvelles images.

lundi 21 septembre 2009

Deux verres bonjour les dégats

Ce week end, la province du Chimborazo rendait hommage aux Cuvivis, un oiseau rare qui migre des Etats Unis jusqu'au lac de Ozogoche, à la frontière entre Andes et Amazonie pour en finir avec la vie au cours du mois de septembre. Depuis 7 ans, un festival de culture traditionnelle est organisé pour célébrer ce mistère de la nature.

Ce sont des kilomètres à perte de vue avec parfois, une maison isolée au milieu des paturages marécageux qui bordent les lacs de Ozogoche. Seul rédident les quetchuas qui vivent de l'élevage des moutons et de la pêche de la truite. Les hommes se déplacent à cheval parfois sans selle et cela depuis le plus jeune âge.
Pour le festival en l'honneur du Cuvivis, toutes les communautés autour de Ozogoche s'étaient retrouvés pour un week end qui mettaient à l'honneur les cultures traditionnelles de l'Equateur et des voisins andins (Colombie, Perou, Bolivie). Les touristes, venus en grande majorité de Riobamba, avaient fait le déplacement pour assister à toute une série de spectacles en castillan et en quetchua.

Toutes le générations rient aux éclats devant la pièce de théatre réalisée par les jeunes de la communauté de Ozogoche Alto et éxécuté en quetchua, une partie du public à la peau blanche reste sceptique devant ce dialecte inconnu de leur vocabulaire. Quelques mots rapelle des souvenirs d'une antique leçon de quetchua mais l'emsemble est bien obscur pour celui qui n'est pas autochtone.
La majorité des représentations sont mises en scène par les adolescents des villages, une réapropriation de la culture indigène par les adultes de demain. Il faut dire que les adultes ont d'autres chat à fouetter. En parlant d'adulte, il faut plus particulièrement parler des hommes. Combien sont ils dès 9h du matin et ce toute la journée qui titubent, tenant à peine sur leurs jambes. Ils sillonnent parmi les visiteurs, heurtant par moment ceux qui croisent sa route. Un collègue pas plus frais leur sert de guide quand ce n'est pas les femmes de la famille qui le rapatrie dans un endroit un peu plus calme pour qu'il décuve. Ils grimpent sur leur canasson et se laissent guider selon les envie de la bête qui ne comprend pas bien ce qui lui arrive et alerne galop éfrener et rond sur lui même.
Ils ingurgietnt vin de pêche, de pomme, bière et quelques liqueurs à la saveur artificielle citronné sans discontinuer. Leurs propos sont incompréhensibles et le dimanche après midi ils sont quelques uns à ne plus supporter et à s'éffondrer sur un talus en esperant que cela passe.
La police et la croix rouge encadrent la manifestation et les représentants de la loi font preuve une nouvelle fois de leur incompétence. Un homme titube une fois de trop et tombe violemment sur la tête. Les yeux ouvert, il reste inconscient et ne réagit plus. Les passants appellent les secours et demande à la bidasse de service de le prendre en charge en attendant la civière. "Il a rien, il faut juste qu'il cuve!" S'esclaffe t-il. Son supérieur s'approche de l'homme inanimée et lui remue la tête comme un bilboquet: aucun n'a jamais reçu un seul cours de secourisme et ils agissent tous comme de simples crétins. Les infirmiers de la Croix Rouge Equatorienne viendront mettre un terme à ce massacre.

Le problème de l'alcoolisme est récurent en Equateur en général et en particulier chez les peuples indigènes. La cuite pourrait devenir un sport national si le résultat n'était pas aussi sordide jusqu'a en devenir morbide tellement l'état dans lequel se mettent ces personnes se rapproche de la mort. Une conscientisation est en marche pourtant, les spectacles présentés ce week end évoquaient pour certains les dégats physiques et sociaux de l'alcoolisme. On essaye de sensibiliser le public mais cela n'empèche personne de faire ami ami avec la bouteille. Les organisateurs s'efforcent de rendre leurs fête libre d'alcool avec des campagnes de prévention. La réussite reste mitigée.


credit photo: artenativo.org
Prochainement La Otra Esquina mettra en ligne un résumé video de ce week end.

lundi 14 septembre 2009

Déménagement sur la côte équatorienne

Reprise d'un article du Grand Soir en prise avec l'actualité équatorienne et sud américaine. Le débat fait rage quant à l'implantation d'une base militaire américaine en Colombie, cete dernière accueille une nouvelle base voulue par les américains en remplacement de celle de Manta dont le gouvernement de Rafael Correa a exigé la fermeture suite aux nouvelles dispositions constitutionnelles. Texte de Ana Maria Acosta

En 1999, un étrange visiteur a débarqué chez Mme Manta avec des avions, des radars et des militaires. Il voulait louer un endroit où installer une base pour contrôler les narcotrafiquants terroristes des pays latino-américains. Mme Manta n’avait jamais vu un terroriste et n’y connaissait rien en stupéfiants, mais comme elle est plutôt sympa, elle accueillit l’étranger chez elle. Le problème, c’est que le propriétaire du lotissement, Jamil Mahuad, ami intime du visiteur, signa une convention sans rien demander à personne, qui permit à l’étranger d’occuper la maison de Mme Manta… Dix ans plus tard, le locataire a été expulsé de la maison de Mme Manta. En quel état a-t-il laissé la maison ? Quelles relations a-t-il eu avec ses voisins ? Qu’a-t-il fait pendant dix ans ? Ce sont les questions que se pose Manta ?

Antécédents

En 1999, peu de voix se s’élevèrent pour mettre en garde la population à propos de l’installation de la base militaire étasunienne en territoire équatorien. Très peu nombreux étaient ceux qui disaient que cette présence impliquait une perte de souveraineté et une complicité de l’Équateur avec le Plan Colombie. Ce Plan Colombie que les États-Unis commençaient à mettre en place dans la région pour contrôler le trafic de drogue et désarticuler les mouvements subversifs colombiens.

Personne en Équateur ne fut informé des conditions figurant dans la convention, pas même les représentants du Congrès ; l’ensemble reposait sur la servilité totale du gouvernement de Jamil Mahuad. Le néolibéralisme était en plein essor dans le pays, les partis de droite occupaient tous les espaces du pouvoir. Le gouvernement s’efforçait de sauver les banquiers, conduisant l’Équateur vers la plus grave crise économique de son histoire. C’est dans ce contexte que le 12 novembre 1999, le gouvernement chancelant de Mahuad, à la recherche d’appui auprès de l’ambassade étasunienne, signait la convention permettant aux États-Unis d’installer un Poste avancé d’opérations (en anglais Forward Operating Location, FOL) sur la base aérienne Eloy Alfaro de Manta. Au gré d’un jargon diplomatique bien rodé, on parlerait désormais officiellement du FOL, acronyme permettant d’éviter de prononcer les mots « base militaire ».

Le nouveau Miami

« Ici à Manta, ils nous ont promis un nouveau Miami. Cela a enthousiasmé les élites de la ville qui ont formé le Groupe pro Manta. Les gouvernements de l’époque ne faisaient rien pour les Régions, c’est pourquoi ces élites ont de suite été très intéressées par l’opportunité qui se présentait à elles. Le dollar est devenu roi, nous nous sommes convertis en véritables occidentaux, même s’il y a eu des résistances dans la région sud de Manabí », déclare Miguel Morán à la Commission des questions Internationales et de la sécurité publique de l’Assemblée nationale, qui s’intéresse maintenant à ce qu’ont fait les gringos à Manta.

Miguel Morán, avocat, syndicaliste et professeur de droit, est un des dirigeants du Mouvement anti-impérialiste Thoallí. Il est un des rares à avoir pris la parole dès 1999 pour s’opposer à l’installation de la base, à une époque où la majorité de la population voyait s’ouvrir, avec son arrivée, des perspectives de croissance économique. Il raconte que des mythes se sont construits autour de l’installation de la base. « Les médias et les autorités locales, aux mains de la droite social-chrétienne, annonçaient l’arrivée du rêve américain à Manta. « Les gringos vont amener des dollars, disaient-ils ».

Mais au fil des ans, le rêve américain a présenté un autre visage à Manta. Des bars, des discothèques et des cabarets se sont construits ou agrandis. Les emplois créés au sein du FOL ont duré huit mois, le temps de la rénovation des installations aéroportuaires. Ensuite, le FOL a uniquement offert des emplois de nettoyage ou de manutention, et les salaires proposés étaient nettement inférieurs à ceux des étasuniens. La croissance tant attendue du tourisme et du commerce a alors profité à une infime minorité. C’est ce que raconte le capitaine en retraite Jacobo Jara, un ancien de 90 ans qui, tout au long de sa vie, a vu les changements que Manta a subis.

« J’ai été très affecté par l’arrivée des américains. Sur l’avenue Flavio Reyes, ma famille avait son petit commerce, avec quelques autres. Avant, nous payions un loyer de 50 dollars par local, ce qui permettait à tous les commerçants de travailler et de vivre décemment. Et puis ils sont arrivés ; je ne dis pas que ce sont eux qui ont imposé les prix, mais ça a joué. Au début, ils versaient des salaires élevés, jusqu’à 1500 dollars ; pour certains, l’or vert coulait à flots. Mais nos loyers sont rapidement passés de 50 à 500 dollars et nous n’avons pas pu tenir. Des businessmen sont arrivés, et nous, humbles petits commerçants, avons fait faillite et avons été dépouillés de nos biens. Tous ceux qui avaient travaillé là pendant des années ont perdu leur commerce et leur travail ».

Selon l’ambassade des Etats-Unis, « le FOL injecte plus de 6,5 millions de dollars chaque année dans l’économie locale de Manta ». Mais pour Miguel Morán, cet argent ne bénéficie pas à la population de la ville : « les militaires étasuniens ne consomment pas de produits locaux, même l’eau ils l’importent. L’argent qu’ils injectent circule au sein d’une élite sociale ultra-minoritaire, entre bars de luxe et autres endroits réservés. La croissance de Manta, si tant est qu’on puisse parler de croissance, est due à d’autres facteurs qu’à la présence de militaires étrangers ».

L’ambassade annonce que l’investissement réalisé à Manta « inclut une part importante des coûts de fonctionnement de l’aéroport, avec plus de 2 millions de dollars pour le département des pompiers du FOL et approximativement 200.000 dollars en coûts de maintenance de l’aéroport ». De son côté, le chef des pompiers de Manta, Sofonías Rezabala, rejette cet argument et assure que le travail des pompiers est totalement autonome, qu’ils n’ont reçu aucun véhicule du FOL, malgré ce qui a été affirmé dans la presse locale. « Quand il y a eu cet incendie dans le centre, tous les habitants des quartiers populaires sont venus donner un coup de main ; les gens du FOL eux sont venus balayer les cendres ».

Les promesses de « bien être » qui accompagnèrent l’installation de la base furent créées de toutes pièces par la presse, les autorités locales et l’ambassade des Etats-Unis. Elles occultaient l’incidence géopolitique de cette base en Équateur. C’est pourquoi des organisations locales et nationales commencèrent à s’organiser et à lutter contre la présence de militaires étrangers et du FOL. Elles n’eurent pas la naïveté de croire qu’il s’agissait d’un simple Poste avancé d’opérations. Elles commencèrent à se poser des questions sur le rôle de cette base au sein des nouvelles politiques de sécurité des États-Unis, et au-delà, sur l’intention des États-Unis d’accéder librement aux ressources énergétiques et à la biodiversité. Elles se demandèrent également quel était le rôle du FOL dans la mise en œuvre du Plan Colombie. À cet égard, l’ex-commandant du FOL, Javier Delucca déclara : « La base de Manta est très importante dans le cadre du Plan Colombie. Nous sommes très bien situés pour pouvoir opérer dans cette zone ».

L’importance de cette base dans la militarisation de la région attira l’attention d’organisations antimilitaristes internationales, et la question du FOL de Manta devint emblématique de la résistance à l’hégémonie militaire étasunienne dans le monde. En 2003, la Coalition pas de bases en Équateur, composée de plus d’une vingtaine d’organisations, commença à mener des actions et à organiser des débats. Cela permit de repositionner la base de Manta dans l’espace public, jusqu’à ce que la question de la non-rénovation du contrat d’utilisation de la base aérienne Eloy Alfaro atteigne les sphères du pouvoir.

En 2008, la Coalition a proposé à l’Assemblée nationale constituante d’intégrer à la Constitution le texte suivant :

« L’Équateur est un territoire de paix qui exerce pleinement sa souveraineté ; il n’accueillera pas de bases militaires étrangères ni de troupes étrangères et s’abstiendra de signer tout type de convention qui implique d’autres formes de présence militaire étrangère. Le pays ne se mêlera militairement à aucun conflit hors du territoire national, que ce soit unilatéralement ou en coordination avec d’autres États. Les entraînements et les exercices militaires ne se réaliseront avec aucun autre État ».

L’essentiel de cette proposition a été accepté par l’Assemblée nationale constituante ; l’article 5 de la nouvelle Constitution dit : « l’Équateur est un territoire de paix. L’établissement de bases militaires étrangères et d’installations étrangères avec des intentions militaires n’est pas permis. Il est interdit de céder des bases militaires nationales à des forces armées ou de sécurité étrangères ».

Se pliant aux exigences de la Constitution, le président équatorien Rafael Correa a fait de la base de Manta un de ces thèmes de campagne pour les présidentielles d’avril 2009. Il a annoncé qu’il ne renouvellerait pas la convention d’utilisation de la base de Manta avec les Etats-Unis ; ainsi le FOL et ses locataires devront quitter la base aérienne Eloy Alfaro avant novembre 2009. Comme tout locataire, les militaires étasuniens devront rendre des comptes sur les activités qu’ils ont développées pendant ces dix années. C’est pour cette raison que la Coalition pas de bases en Équateur a demandé à la Commission des questions internationales et de la sécurité publique de l’Assemblée nationale de mener des recherches sur les opérations réalisées depuis Manta par des troupes étrangères.

Elle a demandé de vérifier si certains soupçons portant sur le bombardement colombien de Angostura en Équateur, en mars 2008, sont fondés ou non. Ces soupçons s’appuient sur le fait que des avions étasuniens ont décollé de la base de Manta dans la nuit du 28 février, et qu’ils ont peut-être fourni des informations aux militaires colombiens ainsi qu’un appui logistique. Le 21 mai 2009, la Commission de l’Assemblée nationale, accompagnée de la Coalition pas de bases en Équateur et d’organisations de défense des droits humains, est arrivée à Manta pour réaliser une visite préalable à une audience publique.

Dix ans après l’installation de la base étasunienne à Manta, le silence qui a couvert la signature de la convention a été rompu. Des organisations sociales, des collectifs de jeunes, des associations de pêcheurs, des femmes et de simples citoyens ont recouvré la parole et ont pu s’adresser à la commission et au monde sur les conséquences de la présence des militaires étrangers à Manta.

« Les radars ne me rendront pas mon époux »

Tôt le matin, dans une maison en bambous en périphérie de Manta ; il n’y a ni grands édifices, ni succursales de banques internationales, ni restaurants de luxe. On est juste frappé par l’odeur envahissante des rejets d’une usine de conserves de poissons. C’est ici que des femmes, des anciens, des jeunes, tous pêcheurs, se réunissent pour exprimer leur rejet de la base militaire étasunienne, au cours de l’audience publique mise en place par la Commission des questions internationales de l’Assemblée nationale.

Malgré l’exiguïté des lieux, toutes et tous sont là, il n’en manque pas un ; c’est la première fois que des représentants de l’État viennent les voir en dehors d’une période de campagne électorale. La Commission de l’Assemblée nationale, comme s’il s’agissait d’une session normale, constate le quorum et déclare l’audience ouverte.

Milton Ayala Castro est le premier à prendre la parole. Vice-président de l’Association des pêcheurs autonomes artisanaux de Manabí-Miramar, il ne croit toujours pas qu’une commission au complet puisse être là pour l’écouter. Puis María Urgilés prend la parole, les mains abîmées, le regard triste ; sa voix rappelle le grondement des vagues, elle semble forte. María est l’épouse d’un des 18 pêcheurs disparus le 15 juin 2003. Ce jour-là, son époux et 17 autres pêcheurs sortirent en mer sur le Jorge IV, comme chaque semaine, et ne revinrent jamais.

Le Jorge IV disparut à un moment où les interdictions de naviguer étaient très nombreuses [2]. Certains indices montrent que le bateau a été embouti par un navire de très grande taille, mais la véracité des faits n’est pas avérée. Les femmes et les enfants des pêcheurs défunts allèguent que le bateau a été embouti par une embarcation étasunienne, d’où les difficultés qu’ils ont rencontrées pour que débutent les recherches.

Deux jours après la disparition du Jorge IV, la Capitainerie du port et le propriétaire du bateau, Jorge Corral, assuraient aux familles qu’il n’y avait aucun problème et qu’ils avaient pu communiquer avec les membres d’équipage. Au final, les radars, les satellites et la technologie de pointe dont disposent les militaires étasuniens de la base de Manta n’ont donné aucun résultat. Le bateau n’a pas été retrouvé et jusqu’à présent il n’existe aucune piste.

Les pêcheurs, les veuves et les mères demandent que l’enquête porte sur les informations en possession du FOL à propos du naufrage et de la disparition du bateau. Ils se demandent comment 18 personnes peuvent-elles disparaître en mer sans laisser de traces ? Comment un Poste avancé d’opérations disposant d’une technologie de pointe peut-il ignorer ce qui est arrivé à une embarcation ? Partant de ces témoignages, les représentants de l’Assemblée nationale ont décidé d’étendre leur enquête auprès la Capitainerie du port et des propriétaires du Jorge IV. Ils veulent vérifier s’ils ont vraiment été en communication avec le bateau et savoir pourquoi les opérations de recherche ne se sont pas déroulées normalement. María veut passer un marché avec le gouvernement des États-Unis : qu’il embarque le FOL, les radars et les avions, et que son époux lui soit rendu.

Pendant que María parle, un ancien écoute ému son témoignage, et sur une feuille de papier aussi ridée que sa peau, il écrit : « Empire nord-américain, Ministre Larriva [3], la Colombie attaque Angostura, souveraineté équatorienne, nobles pêcheurs ». Des mots-clés qui lui permettront de ne rien oublier au moment de prendre la parole. Jacobo Jara est un pêcheur retraité, membre du Comité patrie terre sacrée, il a 90 ans. Quand il prend la parole, tout le monde écoute attentivement. « Pendant ces dix années, quel bénéfice a-t-on tiré de la présence des étasuniens, qu’ont-ils apportés ? Leur présence a causé du tort. D’abord parce que les avions nord-coréens, vietnamiens et iraniens ne peuvent pas atterrir ici. Les ennemis des États-Unis n’ont pas le droit de venir ici. Mais que je sache, ce sont leurs ennemis, pas les nôtres ! Ce sont eux qui choisissent nos amis, ceux qui peuvent venir en Équateur pour y faire du tourisme ou du commerce. Tout ce qui compte, c’est ce qui les intéresse à eux, et cela nous porte un grand préjudice ».

Peu à peu, la peur de parler s’estompe, les femmes, mères et filles, prennent la parole. Elles veulent parler de leur époux, de leur père, de leurs fils disparus. Les pêcheurs eux veulent savoir qui va reconnaître les dommages causés à leurs bateaux, qui va tirer leur embarcation du fond des eaux, qui va leur rendre la liberté de pêcher dans les eaux où ont pêché leurs pères et leurs grands-pères avant eux.

Dans l’après-midi, l’audience publique se déplace à l’université laïque Eloy Alfaro, où d’autres organisations et de nombreuses personnes ont répondu présent à l’appel lancé par la Commission de l’Assemblée. Tout le monde veut prendre la parole ; aujourd’hui, contrairement aux années passées, le silence et la peur n’ont pas été invités à la réunion.

Le capitaine de l’Ochossi a rencontré des militaires étasuniens en pleine mer, et son embarcation en a été affectée : « En 2005, des militaires étrangers nous ont abordés, un avion nous a survolés pendant huit heures. Ils sont parvenus à isoler notre bateau, ils nous ont menacés avec des armes. Ils nous ont ensuite exhibés avec nos noms et prénoms comme si nous étions des narcotrafiquants et nous ont pris en photo. Ils ne nous ont donnés à manger que le lendemain, et ensuite ils ont détruit nos canots de sauvetage. Ils sont montés à bord avec du matériel, mais comme ils n’ont rien trouvé, ils sont partis. Quand nous leur avons demandé qui allait payer les dommages, ils nous ont tendus un formulaire et nous disant de nous présenter à l’ambassade, et ils nous ont laissés à la dérive ».

D’autres prennent la parole, des pêcheurs, des jeunes, des femmes, pour parler des violations des droits humains, des bateaux abordés par les militaires, des contrôles injustifiés, des tortures. Seule une institutrice travaillant dans une « école pour enfants aux capacités spécifiques » dit qu’elle a reçu une aide du FOL. Pour le reste, la Commission de l’Assemblée nationale reçoit des plaintes concernant 14 cas de naufrage, 4 bateaux endommagés et impossibles à réparer, un bateau disparu, 125 migrants soumis à des traitements inhumains et dégradants, 2 personnes détenues et disparues. Une documentation fournie accompagne tous ces témoignages ; dans certains cas, des photos permettent de mettre en évidence des réalités jusqu’alors occultées par les médias, les autorités locales et le pouvoir central.

Ces témoignages, qui confirment que durant sa présence à Manta, le FOL a mis en œuvre des actions qui ne figuraient pas dans la convention, devront faire l’objet d’enquêtes approfondies de la part de la Commission des questions internationales. Manta et l’Équateur attendent des réponses afin que les coupables soient sanctionnés et que les personnes affectées aient droit à des réparations d’ordre physique, économique et moral. À la recherche de réponses…

Après trois jours de présence à Manta, la Commission de l’Assemblée nationale, des organisations de défense des droits humains et la Coalition pas de bases en Équateur visitent la base aérienne Eloy Alfaro. Elles y rencontrent des militaires équatoriens et des fonctionnaires étasuniens, le commandant du FOL, le lieutenant-colonel Jared Curits, ainsi que l’attaché militaire de l’ambassade. Ce qu’elles rencontrent surtout, c’est un discours politique officiel.

Eduardo Cárdenas, commandant de la base aérienne Eloy Alfaro explique que les militaires équatoriens contrôlent la majorité des installations et que les activités conjointes se limitent à de l’échange d’informations, comme l’exige la convention signée entre l’Équateur et les États-Unis : « l’intention unique et exclusive est de mener des opérations de détection, d’investigation et de contrôle des activités illégales concernant le trafic aérien de narcotiques ».

Sur son site internet, l’ambassade des États-Unis affirme que le travail du FOL se limite au champ de la lutte anti-drogue et que les missions aériennes fournissent des informations pour les opérations d’interdiction maritime des gardes côtes étasuniens et des pays amis. Mais les militaires étasuniens n’interviennent pas directement dans les opérations et affirment que « l’information obtenue lors des vols anti-narcotiques qui décollent du FOL est analysée par la Joint Interagency Task Force South (JIATF-South), un organisme international et multilatéral basé à Key West en Floride. Cette force opérationnelle s’organise autour de plusieurs départements du gouvernement des États-Unis et dispose de fonctionnaires coordinateurs dans 12 pays, dont l’Équateur ».

De son côté, le commandant de la base aérienne Eloy Alfaro affirme que « l’information est un élément d’intangible qu’on ne peut manipuler. La valeur de cette information réside dans son traitement et de ce qu’il en fait par la suite. Je peux vous dire que si nous disposions de ces informations ici, elles ne nous serviraient à rien. Chaque information est en lien avec quantité d’autres éléments ».

Mais si l’information circule par les airs jusqu’aux États-Unis et que les militaires équatoriens n’ont pas la formation pour la traiter, puisqu’il s’agit d’une « technologie de pointe que nous ne maîtrisons pas », qu’arrive-t-il alors de l’information obtenue en territoire équatorien ? Dans quel but est elle recueillie ?

D’après l’ambassade des États-Unis, « en se basant sur l’information reçue du FOL et d’autres sources, la JIATF-South peut donner des recommandations aux autorités étasuniennes et latino-américaines afin qu’elles réalisent des opérations d’interception de narcotiques ». Sur la Fiche d’information de contribution du FOL de Manta à la lutte anti-drogues et à la population de la ville, il est stipulé qu’en 2008, « 822 missions anti-drogue ont été effectuées, 229 tonnes de cocaïne ont été saisies, pour une valeur qui aurait atteint 4,5 milliards de dollars à la revente dans les rues ».

D’après les chiffres du FOL, 1.800 tonnes de cocaïne auraient été saisies en dix ans. Ces données ne concordent pas avec les informations en possession du Conseil national de contrôle des substances stupéfiantes et psychotropes (CONSEP). Quand la Commission de l’Assemblée nationale l’a questionné à ce propos, l’attaché militaire étasunien a dû reconnaître que les quantités annoncées correspondaient aux résultats obtenus dans les trois FOL installés en Amérique latine et à des opérations menées dans onze pays différents.

Les médias nationaux, qui sont fréquemment invités à visiter le FOL, publient sans broncher les données que leur fournissent les militaires étasuniens. Pas un seul journaliste n’a eu l’idée de demander où se trouvait la drogue saisie, ou qu’en était-il des personnes détenues lors des opérations, de leurs jugements.

Or, les 1756 tonnes auxquelles l’ambassade fait référence représentent en moyenne des prises avoisinant les 15 tonnes par pays et par an, sur dix ans. L’efficacité de ces opérations est extrêmement réduite, elle est même ridicule, si on prend en considération le nombre de missions aériennes effectuées, l’importance du personnel affecté et les investissements réalisés. Si les militaires étasuniens sont tellement inefficaces pour ce qui est du contrôle du trafic de drogue, une question essentielle reste alors en suspens : qu’ont-ils fait pendant plus en dix ans de présence à Manta ?

Mais ce n’est pas tout, d’autres questions doivent encore faire l’objet d’enquêtes. Si la mission du FOL se limitait au contrôle aérien du trafic de drogue, pourquoi les militaires étasuniens ont-ils abordés, coulés et contrôlés des bateaux et des pêcheurs au large de Manta ?

Sur ce thème, le commandant du FOL affirme : « nous sommes compétents uniquement en ce qui concerne le contrôle de l’espace aérien, tout ce qui se passe en mer relève de la responsabilité de la Marine équatorienne, comme le stipule la convention ». Par conséquent, quel rôle a joué la Marine équatorienne dans les abordages, l’interception de bateaux de pêches ou d’embarcations transportant des migrants ? Quel a été le rôle des militaires étrangers cantonnés à Manta ? Voilà quelques questions auxquelles il est important d’apporter des réponses le plus rapidement possible.

La Commission des relations internationales et de la sécurité publique de l’Assemblée nationale a recueilli une masse importante d’information. Ce travail a visiblement été convaincant et une audience a été ouverte, pour que les actions des soldats étasuniens ne restent pas impunies, et également pour montrer l’exemple à d’autres pays qu’un peuple digne peut exercer sa souveraineté.

La Commission de l’Assemblée nationale aura la responsabilité de bien comprendre la dimension réelle des actions étasuniennes, et au-delà, elle devra établir des responsabilités politiques et pénales pour les dommages causés tant aux personnes directement affectées qu’à tout un peuple auquel des hommes politiques vendus ont imposé la présence d’une base militaire étrangère. La Commission va aussi devoir appeler à comparaître ceux qui ont rendu possible la signature de la convention. Enfin, quand tout ce travail aura été achevé, elle devra présenter un rapport [4] au président Rafael Correa pour que celui-ci transforme les conclusions en actes. C’est ce qu’attendent toutes les Equatoriennes et les Equatoriens qui défendent la paix, et l’ensemble des organisations qui cherchent à construire un monde sans armes et sans actions militaires.


[2] Au début des années 2000, l’Équateur a connu une vague d’émigration massive. Les nombreux migrants qui tentaient de rejoindre les États-Unis de façon illégale l’ont souvent fait dans des embarcations qui partaient de Manta. Les militaires équatoriens et ceux du FOL ont accru les contrôles en mer afin d’empêcher ces départs, et les autorités ont publié des interdictions de sortie en mer pour les bateaux qui se livraient à ce trafic humain. Mais ces contrôles ont aussi donné lieu à des abus, à des réglages de compte et à une importante corruption, qui ont conduit les autorités à interdire la circulation d’embarcations n’ayant jamais participé à ce business mafieux. [NDT]

[3] Le 15 janvier 2007, Guadalupe Larriva était nommée ministre de la défense du premier gouvernement de Rafael Correa. Le 24 janvier, elle décédait lors d’un vol d’entraînement de nuit des militaires équatoriens auquel elle avait voulu participer, depuis la base aérienne Eloy Alfaro de Manta. Les circonstances de l’accident n’ont pas été élucidées. Le 22 janvier, elle avait annoncé que l’Équateur ne renouvellerait pas la convention qui autorisait les militaires étasuniens à stationner et à mener des opérations depuis la base aérienne de Manta. [NDT]

[4] Ce rapport devait être remis le 15 juillet 2009 au président Rafael Correa par la a Commission des relations internationales et de la sécurité publique de l’Assemblée nationale.


credit: RFI, le routard

source: le grand soir