Qui n’a jamais joué, étant plus jeune, aux cow boys et aux Indiens? Qui n’a jamais rêvé de ressembler à John Wayne ou Charles Bronson? Qui n’a pas pleuré devant Danse avec les loups? Qui sait vraiment ce qui c’est passé aux États Unis au XIXe siècle?
C’est une passion lointaine, une obsession infantile, un scénario joué des milliers de fois mais dont on ne se lasse pas. Il y a le cow boy: solitaire, ténébreux, courageux. Il y a le brigand: alcoolique, nerveux et un brin vicelard. À la fenêtre, la danseuse du bar étouffe ses sanglots dans un mouchoir blanc. Le shérif est dépassé par les événements. Au bout de la rue, un Indien taciturne fume la pipe un poncho sur ses épaules. L’histoire se conclut toujours par l’arrivée de la cavalerie escortant la diligence amenant la paye des mineurs.
Tous les petits garçons ont été bercés par le far west. La dernière séance pour les plus anciens, Lucky Luke pour tout le monde.
John Wayne, Yul Brynner, Clint Eastwood... Le duel fratricide rythmé par l’harmonica d’Ennio Moriconne. “ Il y a toutes ces heures passées à jouer aux cow boys et aux Indiens. En toute innocence. Sans jamais me poser de questions. Les choses étaient tellement simples et rassurantes dans les westerns hollywoodiens du mardi soir: d’un côté les gentils cow boys de l’autre les affreux indiens.” Vincent Bouët Willaumez a été bercé par la dernière séance d’Eddy Mitchel. “Ce n’est que bien plus tard, en grandissant, que j’ai découvert comment cela s’était passé, il y a à peine 150 ans en Amérique.”
Le rêve et la réalité
Sand Creek, Chivington, Washita, la Marias, Wounded Knee. À l’âge adulte, ces noms ne sont plus synonymes de rêves. “Les blancs” y ont massacré les Lakotas, les Cheyennes, les Arapahos...
On ne brise pas aussi facilement l’imaginaire des gamins. Depuis très longtemps, Vincent Bouët Willaumez, comédien et marionnettiste, souhaitait monter un western. “Trop simple” lui répond son acolyte Corinne Esparon, “il faut un thème plus recherché”. Le postulat de départ se construit doucement autour de la résistance indienne. “Il y a les Cheyennes, les Arrapahos, les Crows, les Kiowas, les Lakotas. Il y a les bisons. Il y a le feu. Il y a la terre. Il y a l’air, l’eau, la nuit, le soleil. Il y a les étoiles. Il y a le temps. Tout le temps... Mais depuis quelque temps, il y a les Visages Pâles. De plus en plus de Visages Pâles...”
Pendant un an, Vincent et Corinne se documentent. Ils s’accrochent à cette création. Ils vivent des hauts et des bas mais résistent à la facilité qui leur propose de tout arrêter.
Dans le théâtre, dans lequel il est en résidence pour la création du spectacle. Vincent Bouët Willaumez se raccroche à une diligence: celle que lui a construite son père pour son dixième anniversaire. Ce sera le point de départ de la pièce.
À la recherche de traces
En 2005, un voyage sur les terres Lakotas leur redonne du baume au cœur. “Nous avons rencontré par hasard une tribu d’Indien descendante des rescapés du génocide. ”Ils suivent le périple des sioux qui pendant une semaine courent autour de leurs anciens territoires sacrés pour honorer la mémoire de leurs ancêtres.”
Les deux acteurs reviennent en France bouleversés et surmotivés. Ils ont constaté la misère dans laquelle les Indiens sont cloîtrés. Pour que l’information traverse l’Atlantique et pour leur rendre hommage, ils finissent le spectacle. “Aux États Unis, les Indiens sont enfermés dans des réserves. Tant qu’ils habitent à l’intérieur, ils perçoivent des subventions s’ils s’exilent, ils perdent l’argent qui les fait vivre. Les réserves sont de véritables ghettos où vivent des personnes assistées à 100% rongées par l’alcool.”
Parental advisory: explicit lyrics
Sur scène, Vincent manipule ses personnages comme des jouets. Les figurines indiennes sont fabriquées grâces à des pierres ramenées des États Unis: “certaines ont la forme de visage”. Les cow boys sont représentés par des pinceaux et des balais: “ce sont des objets manufacturés avec les cheveux en brosse. Ils ont une forme très militaire. Cela évoque aussi le fait qu’ils aient balayé les occupants originels du territoire, ils ont repeint le pays en blanc.”
Les personnages sont stylisés mais le propos n’est pas épuré. “Le spectacle traite d’un génocide, il a été écrit pour un public averti.” Les plus jeunes sont priés de passer leur chemin car la violence est réelle. Les figurines sont maltraitées. Quand les Blancs attaquent les Indiens, le son métal de Rage again the machine estomaque le spectateur. L’innocence indigène est balayée par les principes arrivistes et chrétiens des colons.
Personne ne sort indemne de ce spectacle. Lorsque les lumières se rallument, Vincent Bouët Willaumez semble épuisé tant physiquement que moralement. Le spectateur reste un temps assis, le temps de se remettre de ses émotions.
Créé en novembre 2005, le spectacle ne fait que débuté sa carrière. Ses créateurs espèrent pouvoir le montrer devant des collégiens pour que la prise de conscience soit généralisée. Récemment, ils ont reçu une proposition d’un festival Ivoirien qu’ils aimeraient concrétiser. “En fin de compte le scénario fut le même en Amérique et en Afrique.”